Les pilotes sont-ils le maillon faible de la sécurité aérienne ?

Un simulateur de vol 'full flight' Les enquêtes faisant suite aux accidents montrent que, dans le domaine du transport aérien, 60 à 80% des crashs sont liés à une erreur humaine. En effet les humains sont des êtres imparfaits, et comettent parfois des erreurs pouvant contribuer à un accident. Cette statistique des 80% d'erreur humaine, relativement connue du grand public, amène donc naturellement à se poser la question suivante:

Les pilotes, en tant qu'humains, ne sont-ils pas le maillon faible de la sécurité du transport aérien ? En d'autres termes, des avions sans pilotes ne seraient-ils pas plus sûrs ?

C'est à cette question que nous allons tenter de répondre dans cet article.

Avant de plonger dans le vif du sujet, rappelons que le transport aérien reste un moyen de transport extrêment sûr. Ce document d'Airbus s'intéresse aux crashs entre 1958 et 2019. Il montre bien la capacité du transport aérien à identifier les causes des accidents, et à travailler pour que des leçons soient tirées pour améliorer la sécurité des vols. Ainsi, en 2019, il y-a eu 4 accidents ayant entraîné la mort dans le monde. Celà représente un taux de 0,11 vols sur un million (en pourcentage: 0,000011 %). En 2019, il y-a eu au total 36 millions de vols, effectués par 26 680 avions. Si chaque accident est toujours un accident de trop, la probabilité de décéder en avion reste donc très faible à l'heure actuelle.

De l'interprétation des statistiques

Répartition des impacts de balles

Durant la Seconde Guerre Mondiale, le Statistical Research Group (SRG) était un programme classifié visant à utiliser les équations des mathématiques pour faire gagner la guerre aux alliés. Il était par exemple question de calculer comment optimiser l'utilisation des bombardiers, ou de trouver des moyens pour augmenter leurs chances de survie...par l'usage d'équations mathématiques !
Afin d'éviter de perdre trop d'avions, détruits par les balles des chasseurs et de la DCA du Troisième Reich, une solution simple consistait à blinder les appareils pour les rendre plus résistants. Cependant tout blindage représente un poids supplémentaire, qui diminue les performances en vol et complexifie la construction. La question suivante fut donc posée au SRG : Quelles sont les parties de l'avion qu'il faut blinder en priorité, à quels endroits se situent les besoins les plus importants ? L'idée étant de ne renforcer que les zones de l'appareil jugées vulnérables face à l'ennemi.
L'image d'illustration ci-contre montre l'emplacement des impacts de balles (en rouge) des avions, lors de leur retour de mission au dessus des territoires ennemis.
Cette répartition des impacts au niveau du centre du fuselage, des bouts d'ailes et de l'empennage horizontal semble indiquer que le renfort de ces zones permettrait de sauver un maximum d'avions, puisque c'est là que se concentrent l'essentiel des impacts.
On imagine aisément l'enthousiasme des militaires, qui pensaient pouvoir optimiser la protection de leurs bombardiers, en renforçant les zones apparaissant en rouge sur le schéma.
Cependant, un dénomé Abraham Wald s'est posé la question suivante : Est-ce que cette répartition des dégâts est réprésentative de la réalité ? En y réfléchissant un peu, il est évident que non ! En effet, les militaires ont observé les dégâts sur des avions qui avaient tous un point commun : ils sont tous parvenus à revenir se poser sur leur base ! Ce qui veut dire que ceux qui ont été abattus par l'ennemi (et n'ont donc pas pu rentrer de mission) ne sont pas du tout pris en compte dans cette étude statistique ! Ainsi, les zones rouges correspondent en réalité aux zones pour lesquelles les tirs ennemis n'ont pas empêché l'avion de revenir de sa mission. Ce sont donc en fait les zones les moins critiques de l'avion ! En regardant de plus près, on comprend aisément qu'un avion touché au niveau des moteurs ou du cockpit avait moins de chances de survivre qu'un avion touché au bout des ailes ! Ainsi, Wald fut en mesure de monter que c'étaient avant tout les moteurs qu'il fallait protéger, contraîrement à ce qu'une mauvaise interprétation des statistiques aurait laissé penser. Plus de détails sur cette histoire sur le site suivant.

Pour en revenir au monde plus pacifique de l'aviation civile, l'exemple que nous venons d'étudier donne un sens bien différent aux 60 à 80% des accidents provoqués par une erreur humaine. En effet, on sait que 80% des accidents sont liés à ce qu'on appelle le facteur humain (erreur des pilotes, des contrôleurs aériens, des mécaniciens, des agents de piste ...). Mais celà ne veut pas dire que supprimer l'humain de la chaîne rendra ce mode de transport plus sûr ! Car tous les jours, des dizaines de milliers de vols se posent en toute sécurité à leur destination (voir les statistiques données en début d'article), et pourtant ils étaient tous pilotés par des humains ! La statistique des 80% d'erreur d'origine humaine, si elle est mal interprétee, masque ainsi complétement les vols où la présence d'un humain à bord a permis d'éviter un accident aérien. Des dizaines de milliers de vols se déroulent sans encombre chaque jour, souvent grâce à l'intervention des pilotes. Mais on ne tient pas de statistiques sur les raisons permettant d'expliquer pourquoi un vol s'est bien déroulé. On s'intéresse tellement à ce qui se passe mal, aux accidents, qu'on en oublie de voir ce qui fonctionne correctement, tous les jours, sous nos yeux. Dans la vie de tous les jours, celà reviendrait au même que de voir un sanglier traverser la route devant vous lorsque vous conduisez: par réflexe, vous freinez, et l'accident est évité. Vous continuez ensuite de conduire pendant deux heures, puis arrivez à votre destination. Pour vous, votre route s'est bien passée: vous ne jugez pas utile d'appeler la police pour leur signaler que vous avez dû freiner pour éviter un sanglier, après tout il n'y a pas eu d'accident. C'est ainsi qu'il est facile d'estimer combien de conducteurs ont percuté un animal lors d'un trajet en voiture, mais beaucoup plus difficile d'estimer combien de fois des conducteurs ont permis d'éviter des accidents: on ne comptabilise pas ce qui nous paraît normal, ici une action aussi simple que d'appuyer sur la pédale de frein lorsque vous avez vu un obstacle.

Ce que les humains font correctement, tous les jours

La NASA s'intéresse de près à ce que les humains font bien, sans erreur, tous les jours, sans même s'en rendre compte ou attirer l'attention. Car si la statistique des 80% d'erreur humaine donne l'impression que l'humain est le maillon faible de la sécurité des vols, il pouraît en réalité être le maillon fort, simplement insoupçonné. Comme l'explique Marit de Vos de l'Université de Leinden "Pour la sécurité de l'aviation, c'est un peu comme si on essayait d'en savoir plus sur les mariages, en étudiant uniquement les divorces." L'aviation est ainsi pleine d'imprévus, de changements permanents, qu'il s'agisse de problèmes techniques avec l'avion, d'une météo défavorable, de passagers malades, de retards, de grèves, d'irruptions volcaniques,... Les pilotes sont habitués à jongler avec ces contraintes, et à prendre des décisions basées sur leur expérience, et sur l'évolution probable de la situation, avec pour seul objectif la sécurité des occupants de l'avion. Encore mieux, les pilotes ne se rendent pas compte de cette faculté d'adaptation : ils ne font que leur travail, et s'adaptent naturellement à leur environnement, jour après jour. Le NASA Engeneering and Safety Center (ou NESC) s'intéresse ainsi de près aux qualités insoupçonnées de l'être humain, qui restent dans l'ombre des statistiques d'accidentologie. La NASA n'est d'ailleurs pas la seule à s'intéresser à ces questions, puisque l'Université Aéronautique Embry-Riddle, en Floride, travaille également sur ces facultés insoupçonnées. Comme le résume très bien un article de Forbes, "L'industrie aéronautique a fait de grands progrès en matière de sécurité en comprenant ce que les personnes font mal. Maintenant il est temps d'en apprendre plus sur ce qu'ils font bien".

Pilote automatique, vraiment ?

Un cockpit de Boeing 737NG Le fait que certaines personnes voient les pilotes comme un "maillon faible" est probablement lié à la croyance populaire voulant que "l'avion vole tout seul, grâce au pilote automatique". Néanmoins, rares sont les personnes à savoir ce qu'est réellement un pilote automatique, ni quelles en sont les limites. Il convient de casser le mythe dès maintenant :
Non, un avion de ligne n'est pas capable, à l'heure actuelle, d'aller automatiquement d'un aéroport à un autre sans intervention des pilotes humains ! Le roulage comme le décollage se font systématiquement en manuel. La montée et la croisière se font souvent en utilisant le pilote autoamtique de l'avion, et l'atterrissage peut parfois être fait en automatique, bien que ce soit le plus souvent une manoeuvre réalisée manuellement, ne serais-ce que parce qu'il y-a beaucoup d'aéroports où l'avion n'est pas capable de se poser seul.

Sur l'image d'illustration, on voit différentes parties du poste de pilotage encadrées en vert. Il s'agit des MCDU, MCP, et FMA d'un Boeing 737 NG (on retrouve ces équipements sur n'importe quel avion de ligne moderne). Toutes ces intérfaces homme machine sont là pour contrôler le pilote automatique de l'avion. Ce qui devrait faire réaliser au lecteur non averti que le pilote automatique n'est pas un simple "bouton magique" permettant de faire voler l'avion en parfaite autonomie. Le pilote automatique a besoin d'instructions des pilotes pour bien fonctionner, pour savoir quoi faire. En clair, il ne prend pas de décisions seul, il se contente de faire ce que les pilotes lui demandent. Et les pilotes intéragissent avec ce système à de nombreuses reprises pendant chaque vol, qu'il s'agisse de la montée, de la croisière ou de la descente. Nul besoin de dire que son fonctionnement est autrement plus complexe qu'un simple régulateur de vitesse de voiture, d'où ces interfaces conséquentes. Sans instructions appropriées de la part des pilotes, le pilote automatique est tout a fait capable de mener l'avion au crash, sans même réaliser que ce qu'il fait n'est pas adapté, puisque ce n'est qu'une machine qui se contente d'exécuter ce qu'on lui demande, que ce soit "bien" ou "mal".

Le pilote automatique est en réalité un système permettant aux pilotes de prendre plus de recul, afin de superviser le vol dans son ensemble sans être absorbés par le pilotage immédiat de l'avion. Les pilotes doivent en effet prendre des décisions sur la trajectoire de l'avion (éviter des orages ou des zones de turbulence, choisir la meilleure altitude pour le vol, choisir la piste la plus adaptée pour l'atterrissage...), doivent communiquer avec les contrôleurs aériens (qui peuvent leur imposer des changements de trajectoire prévus...), doivent gérer les évènements qui peuvent survenir pendant le vol (panne d'un système, malaise d'un passager, dégradation de la météo à destination, fermeture d'un aéroport...), communiquer avec les hôtesses et stewards en cabine par rapport au déroulement du vol pour leur permettre de s'organiser, et prendre des décisions en fonction de nombreux paramètres qui évoluent en continu. Le pilote automatique ne remplace donc pas un pilote humain, il constitue simplement un outil pouvant accomplir les tâches qui lui sont demandées, par l'humain... et il ne sait pas tout faire !

Les Golden Rules Airbus Outre l'incapacité du pilote automatique à prendre des décisions et à interragir avec les différents acteurs du vol, il est important de souligner que comme tout système électronique et informatique créé par l'homme, il peut parfois tomber en panne, "bugger". Dans ces conditions, les pilotes jouent un rôle crucial, puisque c'est à eux qu'il revient de détecter toute anomalie, et de la corriger, quitte à reprendre le contrôle de l'avion en manuel. C'est ainsi que le constructeur européen Airbus définit des "Golden rules" (règles d'or) pour les pilotes de ses appareils, qui montrent bien avec quel niveau de méfiance il faut traîter le pilote automatique. Le point numéro 2 insiste sur son utilisation qui doit être adaptée et raisonnée en fonction de la situation (mal utiliser le pilote automatique peut parfois causer plus de problèmes qu'autre chose), le point numéro 3 insiste sur l'importance de la surveillance du fonctionnement attendu du pilote automatique, et le dernier point insiste sur la responsabilité des pilotes de réagir en cas d'anomalie, ceci pouvant aller jusqu'à piloter l'avion manuellement.

Maillon faible ou maillon fort ?

Comme on l'a vu, si les pilotes ne sont pas infaillibles, ils montrent au quotidien qu'ils jouent un rôle central dans la sécurité des vols. Ils offrent une faculté d'adaptation importante, une forte résilience face aux imprévus, et savent anticiper ce que la machine est incapable de percevoir. Leur rôle va bien au délà du simple pilotage de l'avion, puisqu'ils doivent prendre de nombreuses décisions dans un environnement très dynamique (peu de personnes sont amenées à prendre des décisions dans un bureau lancé à 800 km/h). Sans s'en rendre compte et au quotidien, par leurs actions souvent les plus anodines, ils corrigent les manquements des systèmes automatisés, par nature limités et faillibles (limites d'utilisation, bugs ou dysfonctionnements...). C'est ainsi que la statistique des 80% d'erreurs humaines doit être interprétée pour ce qu'elle dit : 80% des (rares) accidents d'avion avaient un lien avec le facteur humain...Mais 100% des avions non accidentés (représentant des dizaines de milliers de vols par jour) l'ont été grâce à des décisions et des actions menées pas ces mêmes humains, qui excellent dans de nombreux domaines où les machines restent, aujourd'hui encore, largement limitées. Si une aviation totalment autonome n'est pas impossible à l'avenir, il convient donc d'évoluer avec précaution, pour ne pas perdre cet acquis que constitue l'excellent bilan de sécurité de l'aviation commerciale dans le monde, dans sa forme actuelle.

Publié le : 15/05/2021