Crash de l'A320 de PIA, quelles hypothèses ?

AP-BLD, l'avion qui s'est écrasé au Pakistan
AP-BLD, avion de l'accident en 2016 - © Shadman Samee CC BY-SA 2.0

Le vol Pakistan International Airlines (PIA) PK8303 du 22 mai 2020 était un Airbus A320 (immatriculé AP-BLD) devant relier Lahore (LHE) à Karachi (KHI) au Pakistan. L'appareil s'est écrasé sur un quartier résidentiel proche de l'aéroport de Karachi (position approximative N24.9116 E67.1881) lors de ce qui semblait être sa deuxième approche, à la suite d'une remise de gaz. L'appareil transportait 91 passagers et 8 membres d'équipage, dont 2 pilotes.
L'enquête officielle suit son cours et il faudra attendre que le rapport soit rendu public pour savoir exactement ce qu'il s'est passé. Cet article ne se substitue en aucun cas à l'enquête officielle mais vise à essayer de comprendre ce qui peut expliquer cet accident, à la vue des éléments disponibles publiquement aujourd'hui. Cet article vise également à donner des pistes de réflexion allant au-delà de ce crash, pour permettre de mieux comprendre comment peut se dérouler un accident. Seule l'enquête permettra de faire toute la lumière sur ce triste évènement.

Une approche haute énergie ?

Une approche haute énergie est un terme qui peut sembler énigmatique, mais il décrit en fait une situation relativement simple: on parle d'approche haute énergie lorsque l'avion est trop haut et/ou trop rapide lors de son approche finale. Il est possible de se retrouver dans cette situation lorsque, par exemple, les contrôleurs aériens ont beaucoup de trafic et ne peuvent pas laisser descendre l'avion suffisamment tôt pour son atterrissage, ou lorsqu'il y-a des montagnes qui ne permettent pas à l'avion de descendre en toute sécurité. L'avion se retrouve alors plus haut que souhaité et a donc plus d'énergie potentielle que le même avion qui se trouverait à une hauteur plus faible. Pour résoudre ce problème d'altitude trop importante, une solution peut consister à laisser augmenter la vitesse de l'avion: plus l'avion descend selon une forte pente, plus il accélère et descend vite, un peu à l'image d'un cycliste qui descendrait une rue pentue en roue libre: plus la pente sera forte, plus la vitesse du cycliste va augmenter. Physiquement parlant, l'énergie potentielle est transformée en énergie cinétique.
La raison pour laquelle une approche haute énergie est un scénario envisagé pour le vol PK8303 provient du profil d'altitude de l'avion (basé sur les données du site de suivi spécialisé flightradar24.com). Le graphique ci-dessous, mis en page par Aviation Safety Network compare la trajectoire de l'avion accidenté (courbe bleue) avec celle d'un autre vol ayant atterri sur la même piste 25L (courbe rouge). La différence d'altitude est importante.

Courbes d'altitude

On voit que l'avion accidenté était bien plus haut que l'autre appareil ayant réalisé la même approche (piste 25L à Karachi) précédemment.
Il y-a plusieurs risques associés aux approches haute énergie. D'une part elles augmentent souvent la charge de travail de l'équipage, qui doit gérer la descente de l'avion. Avec l'augmentation de la vitesse, il peut devenir impossible de sortir les volets hypersustentateurs, qui sont pourtant nécessaires au vol lent précédant un atterrissage. Les pilotes peuvent alors se retrouver avec un handicap (la forte vitesse) qui les empêche de continuer de préparer l'approche normalement (sortir les volets pour l'atterrissage). D'autres risques sont associés aux approches haute énergie comme le risque de sortie de piste, mais ça ne semble pas être le problème principal dans le cas du vol PK8303.

Des alarmes entendues à la radio

Lorsque les pilotes obtiennent l'autorisation d'atterrir à Karachi, on entend dans leur réponse "Roger Pakistan 8303" un master warning en fond sonore. Il s'agit d'un signal d'alarme de l'avion, qui indique une situation anormale. Pourtant, aucun des deux pilotes n'a déclaré de situation d'urgence, et aucun d'eux n'a demandé d'assistance particulière. Ce master warning peut concerner différents systèmes de l'avion, mais il peut en particulier avertir de l'oubli de la sortie des trains d'atterrissage. Ce document d'Airbus indique en effet que The “L/G GEAR NOT DOWN” ECAM warning is triggered passing 750 ft RA in approach to warn the flight crew that the landing gear is not set to DOWN while the aircraft is in the landing configuration. En d'autres termes, si l'avion passe une hauteur de 750 ft et que le train n'a toujours pas été sorti par les pilotes, une alarme se déclenche pour les avertir. Il existe d'autres alarmes comme le GPWS en complément du master warning, qui permettent aussi d'alerter les pilotes en cas d'oubli de la sortie du train d'atterrissage (mode 4).

Des pilotes peuvent-ils oublier de sortir le train d'atterrissage ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la réponse est oui ! C'est rare, mais c'est déjà arrivé. Voici trois exemples filmés de l'intérieur:
Vidéo 1: Un avion de tourisme à Megève
Vidéo 2: Un autre avion de tourisme
Vidéo 3: Un avion de chasse Mirage 2000 de l'Armée de l'Air
Des avions de plus gros gabarit peuvent également être concernés, comme ce quadriréacteur C-17 de l'US Air Force à Bagram en 2009 pour lequel l'enquête a conclu à l'oubli par les pilotes de sortir le train d'atterrissage.
Il est intéressant de noter que dans la plupart des cas, on entend à un moment ou un autre des alarmes indiquant que le train d'atterrissage n'a pas été sorti par les pilotes. Dans la vidéo du Mirage 2000, on entend même le contrôleur aérien demander au pilote d'effectuer une remise de gaz, quelques instants avant que l'avion n'entre en contact avec la piste. Les alarmes ne suffisent donc pas toujours à empêcher l'accident. Pourquoi ?

La distraction et le stress peuvent réduire notre perception des sons

Cet article revient en détails sur un problème connu des pilotes, à savoir la façon dont notre cerveau filtre certaines informations. Dans une situation de stress ou de forte concentration, il n'est pas rare de ne pas remarquer certaines sollicitations de nos sens, qui ne seraient pas passées inaperçues en temps normal. C'est une façon qu'a notre cerveau d'éviter de nous saturer d'informations lorsque nous sommes déjà occupés par autre chose, et l'audition est concernée par ce problème. Ainsi certaines études montrent que lorsqu'un pilote est fortement occupé ou stressé, jusqu'à 50% des alarmes sonores peuvent tout simplement passer inaperçues, les rendant donc inefficaces ! Si nous savons que pour le vol PK8303 certaines alarmes ont été déclenchées, nous ne savons pas si les pilotes y ont prêté attention. Il est possible que l'approche haute énergie les ait distraits au point de ne plus entendre les alarmes de l'avion.

La possibilité d'un biais de confirmation

Un autre mécanisme qui peut avoir joué un rôle dans ce crash, est le biais de confirmation. Il s'agit d'une tendance qu'ont les êtres humains à confirmer leurs préjugés, leurs idées, leurs hypothèses, dans ce qu'ils perçoivent autour d'eux. Par exemple si une personne attend avec impatience un colis du facteur, lorsqu'elle entendra sonner sa sonnette, elle s'attendra à voir le facteur. En réalité il s'agit peut-être simplement d'une personne faisant du porte à porte. Mais le biais de confirmation a fait croire que la sonnette était associée au facteur. Cela peut être un mécanisme très puissant en aviation, puisque quand des pilotes se font une idée d'une situation donnée, il devient souvent difficile pour eux de percevoir les indices montrant que leur perception est fausse et que la situation est différente. Pour le vol PK8303, on a vu que l'avion avait peut-être réalisé une approche haute énergie. Les pilotes pouvaient être concentrés sur leur tentative de perte d'altitude et de vitesse, et associer erronément toute alarme à cette situation: "Je sais, l'avion est trop haut et va trop vite mais je suis en train de corriger", quand l'alarme signifiait peut être en réalité "le train d'atterrissage n'a pas été sorti". Ainsi l'alarme peut être rendue inefficace par un biais de confirmation.

Le scénario possible

AP-BLD après la remise de gaz avec des traces sous les moteurs
AP-BLD après la remise de gaz avec des marques sous les moteurs
© Pakistan Plane Spotters,Hamza Omer

Encore une fois, seule l'enquête permettra de déterminer ce qu'il s'est effectivement passé. Un scénario possible serait néanmoins le suivant:
Pour une raison donnée, le vol PK8303 s'est retrouvé en situation d'approche haute énergie. Il est trop haut et vole trop vite pour atterrir sur la piste 25L à Karachi. Les pilotes tentent de corriger la situation, et se retrouvent concentrés sur leur pilotage, et stressés par cette situation. Ce stress et cette situation demandant toute leur attention, ils se retrouvent dans une situation dite de tunnelisation: ils sont tellement concentrés sur un élément donné qu'ils perdent la perception plus globale de leur environnement.
Leur forte vitesse a retardé la configuration de l'avion pour l'atterrissage (sortie des volets et du train d'atterrissage), et ils se retrouvent dans une situation où ils ne réalisent plus qu'ils n'ont toujours pas sorti le train d'atterrissage, car trop occupés à corriger leur approche.
Des alarmes sonnent (on a pu entendre un master warning à la radio), mais il est possible que les pilotes ne les entendent pas à cause de leur charge de travail. S'ils entendent certaines alarmes, il est possible qu'un biais de confirmation les empêche d'associer correctement l'alarme de train d'atterrissage au fait que les trains ne sont pas sortis. L'avion continue sa descente vers la piste dans une configuration qui ne permet pas l'atterrissage.
Les nacelles des deux réacteurs de l'Airbus A320 finissent par entrer en contact avec la piste, expliquant les marques visibles sous les moteurs et les traces laissées sur la piste. À ce moment là, les pilotes se rendent compte que la situation est anormale et remettent les gaz: ils augmentent la poussée des moteurs et effectuent un nouveau décollage.
Ils demandent à la tour de contrôle d'effectuer un nouvel atterrissage. Peu après, ils annoncent qu'ils ont perdu les deux moteurs et déclarent une situation d'urgence ("Proceeding direct we have lost engines - Mayday, Mayday, Mayday"). Ils tentent de rejoindre à nouveau l'aéroport de Karachi mais avec les deux moteurs endommagés lors du contact avec la piste, l'avion perd rapidement de l'altitude et finit par s'écraser sur un quartier résidentiel à proximité.

Des antécédents dans l'histoire de l'aviation

Si le scénario décrit ci-dessus peut sembler surprenant, ce ne serait pourtant pas la première fois qu'un accident du même type se produit.
En 2007, un Boeing 737-400 de la compagnie Garuda Indonesia, effectuant un vol entre Jakarta et Yogyakarta, s'est écrasé lors de son atterrissage.
L'enquête conclut que l'avion a effectué une approche à forte vitesse et forte pente (approche haute énergie), l'attention du commandant s'étant fixée sur l'objectif de poser l'avion. 15 alarmes du systèmes GPWS ont été ignorées par le commandant, ainsi que deux injonctions du copilote l'appelant à remettre les gaz. L'avion a atterri avec les trains d'atterrissage sortis, mais avec les volets hypersustentateurs sur 5°, quand ils auraient dû être sur 40° pour cet atterrissage, et l'avion finit par sortir de la piste à cause de sa vitesse excessive. 21 des 140 occupants de l'avion seront tués et le feu qui suivra finira par détruire totalement l'appareil.
Cet accident présente ainsi certaines similitudes avec le scénario envisagé pour le vol PK8303, avec notamment une approche haute énergie, des alarmes non perçues ou ignorées par les pilotes sous l'effet du stress, et un atterrissage dans une configuration inappropriée résultant en un crash.

Des facteurs agravants ?

La plupart des accidents sont liés à une accumulation de facteurs, qui permettent au crash d'avoir lieu. Une approche haute énergie peut être un élément déclencheur, mais d'autres facteurs entrent souvent en compte. Le modèle de James Reason explique ainsi qu'il faut qu'un certain nombre de conditions soient réunies pour arriver au crash. Ainsi toutes les approches haute énergie ne se terminent pas nécessairement tragiquement, et d'autres facteurs peuvent avoir contribué à l'accident.
Des facteurs culturels peuvent parfois entrer en jeu, avec des copilotes n'osant pas interrompre un commandant de bord qui ferait des erreurs, car leur culture attache beaucoup d'importance à l'autorité. C'est un facteur important dans le crash en 2010 de l'A321 d'Air Blue au Pakistan, où le comportement inadapté du commandant de bord avait fait perdre confiance à son copilote, qui n'a pas osé prendre l'initiative quand la situation a commencé à se dégrader lors d'une approche mal gérée. Le crash du Boeing 747 du vol KAL8509 en 1999, peu après son décollage de l'aéroport de Stansted, est également un exemple où la culture semble avoir joué un rôle.
Les dysfonctionnements matériels sont également possibles, tout comme l'application inadaptée de certaines procédures. C'est ainsi que pour le C-17 militaire qui avait atterri sans train d'atterrissage évoqué ci-dessus, l'enquête a montré que le système GPWS avait été désactivé par l'équipage par inadvertance.

Qu'aurait-il dû se passer ?

Une question logique après avoir lu ceci, serait de savoir qu'est-ce qui aurait normalement dû empêcher cet accident. En effet, nous avons vu que la performance humaine peut être dégradée par le stress et les effets de la tunnelisation, et il semble nécessaire de rassurer le lecteur en lui montrant que malgré cela, des mécanismes existent pour éviter ces situations...
En ce qui concerne l'approche haute énergie, si elle peut exister pour un certain nombre de raisons (trafic aérien, reliefs, changement de route pour une approche plus courte que prévu), les pilotes ont plusieurs outils leur permettant de corriger la situation, comme par exemple l'emploi des aérofreins. Si cela n'est pas suffisant, les pilotes peuvent toujours demander aux contrôleurs aériens une nouvelle trajectoire d'approche, plus longue, leur donnant plus de temps pour ralentir et descendre. Il est probable qu'un simple message radio aurait suffi pour résoudre le problème et casser cet enchaînement d'actions.
Les pilotes ont des check-lists, qu'ils ont l'obligation d'effectuer avant certaines phases de vol (avant le décollage, après le décollage, avant la descente, avant l'atterrissage...) pour s'assurer qu'aucun élément important n'a été oublié. Une bonne discipline dans l'utilisation des check-lists permet ainsi de se protéger d'un grand nombre d'oublis aux conséquences potentiellement graves. La précipitation a pu amener l'équipage du vol PK8303 à ne pas effectuer ces check-lists correctement ou complètement, ce qui serait une grave erreur puisque les check-lists sont primordiales pour la sécurité, et particulièrement utiles dans les conditions de vol difficiles, là où l'Humain a le plus de chances de faire des erreurs à cause du stress.
Tous les pilotes de ligne doivent s'assurer de répondre à certains critères avant de procéder à un atterrissage. Il existe une altitude (souvent 1000 ft ou 500 ft) en dessous de laquelle l'avion ne doit pas continuer son approche si tous les critères ne sont pas réunis, on dit que l'approche doit être stabilisée. La position du train d'atterrissage (sorti) ou des volets (configuration atterrissage) font partie de ces critères, tout comme la vitesse qui doit être parfaitement maîtrisée, l'altitude de l'avion qui doit être adaptée... L'application stricte de ces critères aurait dû permettre d'éviter l'accident en faisant une remise de gaz et en procédant à une nouvelle approche.
Une des raisons pour laquelle les pilotes sont toujours au minimum deux sur les avions de ligne, est de permettre à celui qui n'est pas occupé à piloter l'avion de surveiller les actions de son collègue, et de l'informer de tout risque qui viendrait à apparaître. Le second pilote aurait dû intervenir s'il devenait évident que son collègue n'était plus capable de poser l'appareil en toute sécurité. Le non-suivi des check-lists ou des règles de stabilisation sont de bons indicateurs d'une situation qui se dégrade. Il est possible que des facteurs culturels aient négativement influencé la relation entre les deux pilotes.
Finalement, il y-a les alarmes sonores et visuelles, qui auraient dû aider les pilotes à réaliser le danger de la situation, même si le stress et la tunnelisation peuvent rendre leur perception difficile, et si le biais de confirmation peut avoir modifié la perception du sens de ces alarmes par les pilotes.
Ces quelques éléments montrent bien que c'est souvent un enchaînement de dysfonctionnements, de manquements et d'erreurs qui mènent à l'accident, et rarement une cause unique.

Conclusion

Le crash du vol PK8303 pourrait être dû à une approche haute énergie mal gérée par l'équipage, qui n'aurait pas perçu les signaux d'alarmes alertant de la non-sortie du train d'atterrissage. Après un premier contact avec la piste durant lequel les moteurs sont entrés en contact avec le sol, l'équipage a réalisé une remise de gaz, mais la perte de poussée des moteurs endommagés n'aurait pas permi de rejoindre l'aéroport pour un nouvel atterrissage.
Il est évident que seule l'enquête officielle permettra de savoir ce qu'il s'est réellement passé. Même les éléments les plus anecdotiques peuvent avoir joué un rôle dans cet accident. Cet article n'est qu'un scénario probable pouvant expliquer les faits tels qu'ils sont connus aujourd'hui, et vise à donner des pistes pour une meilleure compréhension des accidents en général.

Pour aller plus loin...

Plusieurs sites (en anglais) sont souvent bien informés en ce qui concerne les accidents aériens, et il vaut mieux en général les privilégier à la presse non spécialisée.
The Aviation Herald
Aviation Safety Network
Le site généraliste généraliste Skybrary est également très complet sur un grand nombre d'aspects réglementaires, techniques, et sur la sécurité des vols.

Publié le : 26/05/2020